par fernando » 01 Fév 2021, 13:03
A l’OM, le divorce entre la direction et les supporteurs
La Commanderie, le centre d’entraînement du club marseillais, a été envahie samedi 30 janvier par 300 ultras, en colère contre le président Jacques-Henri Eyraud. Une relation qui n’a cessé de se détériorer ces dernières années.
C’est l’histoire d’un long désamour. Mais qui, ce week-end, attisé notamment par les mauvais résultats sportifs de ces dernières semaines, s’est transformé en rupture. Voire en fracture, avec de la violence à la clé. Entre la direction de l’Olympique de Marseille, incarnée par le président Jacques-Henri Eyraud, et une partie des supporteurs du club, le point de non-retour a été atteint.
Samedi 30 janvier, de 300 à 400 supporteurs marseillais ont forcé les portes de la Commanderie. Une pluie de fumigènes, pétards et feux d’artifice s’est abattue sur le centre d’entraînement de l’Olympique de Marseille alors que trente policiers, qui s’attendaient à une mobilisation des supporteurs, ont répliqué avec des gaz lacrymogènes. Mais ils ont été rapidement débordés.
Vingt-quatre heures après, les stigmates des incidents étaient encore présents. Les graffitis ont certes été effacés, mais subsistent trois cyprès calcinés à côté de la grille d’entrée et les vitres explosées du point d’accueil, remplacées par du carton scotché. « Face à 300 mecs aussi remontés, tu ne peux rien faire », a soupiré un agent de sécurité. Vingt-cinq personnes ont été interpellées, 18 placées en garde à vue samedi, dont quatre ont été remis en liberté le lendemain. Sept policiers ont été légèrement blessés, et le match OM-Rennes, prévu samedi, a été reporté. Les dégâts se chiffrent en « centaines de milliers d’euros », estime le club phocéen qui a annoncé dimanche son intention de déposer plainte
Outre les dégradations sur un bâtiment, des voitures et le car des joueurs ont été pris pour cible, caillassés. Des vols ont été commis dans les bâtiments, le PC sécurité du centre d’entraînement a été mis à sac. Plus grave : deux salariés de l’OM ont été blessés. Le défenseur espagnol Alvaro Gonzalez a été touché dans le dos par un projectile. « Il n’était pas visé, c’est une connerie », assure un participant. Le joueur a rapidement rassuré les fans : « Je vais bien », a-t-il déclaré samedi sur les réseaux sociaux.
« Un désastre »
A chaud, Jacques-Henri Eyraud a évoqué une « attaque inqualifiable ». Le président marseillais s’est longuement exprimé dans les médias dimanche. Sur Canal+, il a dénoncé une « horde sauvage qui voulait tout détruire ». Sur TF1, il a décrit un « déferlement de haine et de violence » et parlera même « d’expédition punitive » sur France Info.
Le propriétaire de l’OM, l’Américain Frank McCourt, a comparé cette intrusion à l’envahissement du Capitole par des partisans de Donald Trump début janvier. Selon lui, dans les deux cas, « quelques sources alimentent un brasier fait d’opinions, d’invectives et de menaces qui sont amplifiées par les réseaux sociaux, créant les conditions qui mènent à la violence et au chaos ».
Le climat s’est progressivement tendu, à Marseille, ces dernières semaines. Depuis la mi-décembre, le club phocéen traverse une importante crise sportive. Les joueurs d’André Villas-Boas n’ont remporté qu’un seul de leurs neuf derniers matchs. Neuvièmes de Ligue 1 avec deux matchs en retard, les Olympiens sont à une « distance abyssale » de leurs objectifs, selon l’entraîneur portugais André Villas-Boas. Ce dernier a annoncé que son départ à la fin de la saison était quasi acté : « Je pense que c’est la fin. (…) Je suis responsable des résultats actuels qui sont un désastre », a déclaré le coach la veille des incidents.
Ces difficultés en championnat interviennent après une élimination humiliante en Ligue des champions (C1). L’OM n’a remporté qu’un seul match dans la compétition, contre l’Olympiakos. Surtout, Marseille s’est illustré en battant le record du plus grand nombre de défaites consécutives en C1, avec treize revers d’affilée. De quoi chauffer à blanc des supporteurs déjà remontés, depuis longtemps, contre leur président.
Erreurs en série
Mai 2018. L’OM s’incline en finale de la Ligue Europa contre l’Atlético Madrid. « Le plus dur commence maintenant », lâche alors un conseiller à Jacques-Henri Eyraud, qui préside le club depuis octobre 2016. La prédiction est juste. Dès l’hiver, des chants hostiles descendent des tribunes et les premières banderoles « Eyraud, casse-toi » apparaissent en virage. Les supporteurs, déçus par une piteuse campagne européenne (cinq défaites et un nul en Ligue Europa), lui reprochent d’avoir prolongé l’entraîneur Rudi Garcia.
Et, surtout, sa politique jugée répressive les inquiète : Jacques-Henri Eyraud, qui a expulsé les Yankee du Stade-Vélodrome, n’hésite pas à porter plainte contre ses supporteurs ou à sanctionner financièrement les groupes qui utilisent des fumigènes. « Il a voulu transformer les supporteurs en clients, accuse un ancien leader du Commando Ultra. Il a essayé de passer en force et d’aseptiser le stade. » Selon cette figure du virage Sud, le président en paye aujourd’hui le prix.
Le 8 décembre 2020, « JHE » commet une nouvelle erreur. Lors d’une conférence, le président de l’OM s’en prend aux « fans in a suit » (« supporteurs en costume ») qui travaillent au club : « Quand je suis arrivé ici, 99 % des collaborateurs du club étaient marseillais. C’est un danger, car en termes de productivité, l’impact qu’une défaite a sur les comportements des collaborateurs était fort. »
Les supporteurs prennent cette déclaration comme une insulte. « C’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, s’énerve l’un deux. C’est d’un mépris complètement fou : il dirige un club supporté par des gens pour qui il n’a aucune estime. » Dans la foulée, et dans un contexte sportif morose, un nouveau mouvement de contestation prend pour cible le président marseillais.
Prise de distance
Des stickers réclamant son départ fleurissent dans Marseille. Jacques-Henri Eyraud, ancien communicant de Disney, est caricaturé en Mickey et qualifié d’« €y$craud ». Des banderoles hostiles apparaissent sur les ponts et sur les ronds-points. Le 6 janvier, avant le match OM-Montpellier, une centaine de manifestants réclament sa démission devant le stade. Un nouveau cortège se forme le 16 janvier, avant la réception de Nîmes.
Au septième étage du Vélodrome, Jacques-Henri Eyraud partage une galette des rois avec les journalistes. Il fait mine de ne pas être touché par la colère des fans et dit même « espérer » leur retour au stade.
Ce week-end, le président marseillais a traité les manifestants de la Commanderie de « pseudo-supporteurs ». « Est-ce à lui d’avoir un jugement moral sur la qualité des supporteurs ?, s’interroge l’historien Sébastien Louis, spécialiste du mouvement ultra. Il y a eu des débordements, mais les supporteurs étaient dans leur rôle de syndicalistes du football populaire. »
Leur fronde n’est pas terminée. Car sur la chaîne Téléfoot dimanche, Jacques-Henri Eyraud a pris ses distances avec « l’OM des magouilles, de la chronique judiciaire, des affaires ». Pour beaucoup de supporteurs, c’est un tacle en direction de l’ancien président Bernard Tapie, vénéré au Vélodrome. Un crime de lèse-majesté à Marseille.
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