par fernando » 20 Mai 2021, 16:01
Ca fait un peu mauvais genre, forcément
Au Brésil, le ministre de l’environnement soupçonné de trafic illégal de bois
Bête noire des ONG, qui l’accusent d’encourager activement la déforestation en Amazonie, Ricardo Salles aurait, avec des fonctionnaires de son administration, favorisé un vaste réseau destiné à l’exportation.
Ministre ultra-polémique du gouvernement brésilien, il se savait depuis des semaines sur la sellette. Mercredi 19 mai, dans la matinée, une série de perquisitions a été effectuée par la police fédérale au domicile et dans les bureaux du ministre de l’environnement, Ricardo Salles, dont une partie de la classe politique réclame désormais la démission.
Le ministre ainsi que des fonctionnaires de son administration sont soupçonnés de corruption et malversation pour avoir favorisé un vaste réseau illégal de trafic de bois d’Amazonie destiné à l’exportation. Signe de l’importance des crimes suspectés : l’opération, baptisée Akuanduba (du nom d’une divinité des Indiens Arara), a mobilisé, mercredi, quelque 160 agents de police pour 35 mandats de perquisition à Brasilia, Sao Paulo et dans l’Etat du Para (Amazonie).
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Dans la foulée, un juge du Tribunal suprême fédéral (STF), Alexandre de Moraes, a également autorisé la levée du secret bancaire sur les comptes de M. Salles. Dix hauts fonctionnaires du ministère de l’environnement ont également été suspendus de leurs fonctions par la justice, dont Eduardo Bim, le président de l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (Ibama).
L’opération est d’une ampleur inédite, jamais vue concernant un ministre de l’environnement, accusé ici de contribuer lui-même à la destruction de la nature. Ricardo Salles − qui s’est rendu au siège de la police fédérale à Brasilia mercredi pour exiger des explications − a dénoncé une action « exagérée, superflue », assuré agir « dans le respect des lois » et manifesté sa « surprise » devant l’ampleur des perquisitions.
Détricoter discrètement la législation
En réalité, voilà des mois que la police enquêtait sur de possibles malversations commises par le ministre et son équipe. En poste depuis janvier 2019 et l’accession au pouvoir de Jair Bolsonaro, Ricardo Salles, avocat de formation de 45 ans aux airs de gendre idéal, est la bête noire des ONG, accusé d’encourager activement la déforestation en Amazonie.
Outre les accusations récentes de trafic de bois, l’homme s’est illustré, depuis deux ans, en coupant drastiquement les budgets des agences de protection de la nature et en remerciant les principaux chefs de celles-ci. Il a également assoupli largement les normes environnementales et reçu à bras ouverts, à Brasilia, des personnalités condamnées pour déforestation illégale. Au mois d’avril 2020, lors d’une réunion ministérielle, alors que toute l’attention était focalisée sur la pandémie de Covid-19, Ricardo Salles avait appelé à profiter opportunément du moment pour « passar a boiada » (« faire le troupeau de bœufs ») : en clair, détricoter discrètement la législation environnementale.
M. Salles entretient également depuis peu des relations tendues avec les forces de l’ordre. En cause : le limogeage au mois d’avril d’Alexandre Saraiva, chef de la police fédérale dans l’Etat d’Amazonas (nord). Ce dernier accusait alors le ministre de favoriser la contrebande de bois dans la forêt tropicale. Mercredi, il a célébré l’opération policière en citant un verset biblique : « Que la campagne s’égaie avec tout ce qu’elle renferme ! Que tous les arbres des forêts poussent des cris de joie », a-t-il tweeté.
Très exposé depuis la sortie du gouvernement des autres « ministres polémiques » − Abraham Weintraub à l’éducation (en juin 2020) et Ernesto Araujo aux affaires étrangères (en mars 2021) −, Ricardo Salles est aussi acculé à l’international. Le gouvernement brésilien est actuellement plongé dans des négociations approfondies avec l’administration américaine de Joe Biden et l’Union européenne (UE) sur le sort de l’Amazonie, menées au plus haut niveau, notamment par l’envoyé spécial du président américain sur le climat, John Kerry. « Tout est sur la table. On veut des résultats positifs et chiffrés dès cette année », disait au Monde, il y a peu, un diplomate européen en poste au Brésil.
Construction de routes et élevage extensif
Depuis la chute de son allié Donald Trump, Jair Bolsonaro se trouve plus isolé que jamais sur la scène internationale. « La pression est très forte. On n’a pas le choix », regrettait récemment un ministre de haut rang à Brasilia. Signe des temps : le 22 avril, lors de son discours prononcé au sommet sur le climat organisé par Joe Biden, le président du Brésil s’est engagé à doubler le budget consacré à l’application des lois environnementales et à mettre fin à la déforestation illégale d’ici à 2030. Une première dans la bouche du leader d’extrême droite brésilien, favorable à l’agronégoce.
Difficile de mener un tel programme avec l’explosif Ricardo Salles. « Il n’est pas très crédible dans le rôle de défenseur de l’environnement », ironise une source diplomatique. Le renvoi symbolique de M. Salles pourrait également permettre à Jair Bolsonaro de gagner du temps. Nombreux sont ceux qui émettent des doutes sur la bonne volonté du président. Un jour seulement après son discours au Sommet de la Terre, M. Bolsonaro a approuvé une nouvelle coupe sévère de 24 % du budget du ministère de l’environnement pour l’année 2021. Au mois d’avril, 778 km2 de forêt ont été rasés en Amazonie, selon l’Institut de l’homme et de l’environnement de l’Amazonie (Imazon), soit le chiffre le plus élevé en dix ans pour ce mois.
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Le pire est peut-être à venir. Jeudi 13 mai, la Chambre des députés brésilienne a adopté, à une très large majorité, un projet de loi visant à réduire considérablement les restrictions sur la déforestation en Amazonie. Dans la pratique, le texte prévoit l’exemption de tout type de licence ou d’autorisation environnementale légale pour une liste élargie d’activités et d’infrastructures, liées, par exemple, à l’électrification, la construction de routes et l’élevage extensif. De quoi provoquer une hécatombe selon les ONG.
Quoi qu’il en soit, la sortie éventuelle du pouvoir ne sera sans doute pas la fin des ennuis pour Ricardo Salles. « Cette opération de la police fédérale ne fait que renforcer la nécessité d’installer une commission à la Chambre des députés afin d’enquêter sur la gestion de Ricardo Salles », a soutenu, mercredi, le député Alessandro Molon (Parti socialiste brésilien), chef de l’opposition à la Chambre basse, menaçant le ministre de nouvelles poursuites, cette fois devant le Parlement.
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